Fin d'emploi en période de probation : pourquoi deux ans de service continu changent tout ?
- Laurie Croteau
- 9 avr.
- 4 min de lecture

La période de probation est souvent perçue par les employeurs comme une phase où la fin d’emploi peut se faire plus librement. Toutefois, une récente décision du Tribunal administratif du travail (TAT) Lussier c. Municipalité de Saint-Édouard, 2024 QCTAT 4477 vient rappeler un principe essentiel de la Loi sur les normes du travail (LNT) : lorsqu’un employé cumule deux ans de service continu, même s’il est en probation dans un nouveau poste, il bénéficie de la pleine protection contre les congédiements sans cause juste et suffisante.
Dans cette affaire, un employé d’une municipalité a contesté son congédiement, et il a eu gain de cause. Voici ce qu’il faut comprendre de cette décision.
Le parcours de l’employé : de pompier à journalier
L’employé avait d’abord été embauché en juin 2021 comme pompier volontaire (aspirant-pompier), un poste à temps partiel, sur appel. Plus d’un an plus tard, en août 2022, il a aussi commencé à travailler comme journalier à temps plein, occupant donc deux fonctions simultanément pour le même employeur.
Après une période d’arrêt maladie, il a cessé ses fonctions de pompier et est revenu au travail uniquement comme journalier. Moins de trois mois après ce retour, son employeur met fin à son emploi, invoquant des comportements fautifs et son statut de salarié en période de probation.
L’employé dépose une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante, en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, qui protège les employés ayant deux ans de service continu contre les congédiements arbitraires.
Ce que soutenait l’employeur
L’employeur contestait la plainte en faisant valoir deux arguments :
Le salarié ne cumule pas deux ans de service continu, puisque son poste de journalier a commencé en août 2022.
En tout état de cause, le salarié était en probation et pouvait donc être congédié sans devoir suivre la progression des sanctions prévue par la loi.
Le Tribunal a rejeté ces deux arguments.
Le verdict du Tribunal : la continuité du lien d’emploi prime
1. Le service continu inclut toutes les fonctions occupées pour un même employeur
Le Tribunal rappelle que la notion de « service continu », selon la Loi sur les normes du travail, n’exige pas qu’un employé occupe le même poste ni qu’il soit régi par un seul contrat de travail. Ce qui compte, c’est que le lien d’emploi n’ait pas été rompu. En l’espèce, malgré le changement de poste et la période d’absence pour maladie, l’employé est resté lié par contrat au même employeur.
Ainsi, le Tribunal retient que le service continu débute en juin 2021, au moment de l’embauche comme pompier, et non en août 2022. Le salarié cumulait donc bien plus de deux ans de service continu au moment de son congédiement.
2. La période de probation ne retire pas les droits prévus à l’article 124 LNT
Même si l’employé était en période d’essai comme journalier, le Tribunal rappelle un principe fondamental : une fois que deux ans de service continu sont atteints, l’article 124 LNT s’applique pleinement. Cela signifie que l’employeur doit démontrer une cause juste et suffisante pour mettre fin à l’emploi, peu importe le poste occupé.
Le Tribunal précise également qu’un employeur ne peut invoquer la probation comme excuse pour éviter d’appliquer la progression des sanctions disciplinaires. Ce principe impose généralement de donner des avertissements et de permettre à l’employé de corriger sa conduite avant d’en arriver à un congédiement.
Pourquoi le congédiement a été jugé injustifié?
L’employeur invoquait des fautes liées à l’insubordination et à la négligence. Toutefois :
L’employé n’avait jamais reçu d’avertissements écrits.
Il ignorait que son emploi était en péril.
Aucune faute grave n’a été prouvée au point de justifier un congédiement immédiat.
L’employeur n’a pas suivi un processus disciplinaire adéquat.
Résultat : le congédiement a été annulé. Le Tribunal a ordonné la réintégration de l’employé dans son poste, avec le versement d’une indemnité couvrant le salaire et les avantages perdus depuis la fin d’emploi.
Ce qu’il faut retenir – Points clés pour les employeurs
1. La notion de “service continu” est large. Elle inclut toutes les périodes où l’employé est lié à l’employeur, même s’il a occupé plusieurs fonctions différentes.
2. Deux ans de service continu = protection complète. Une fois ce seuil atteint, l’employeur ne peut congédier un salarié sans démontrer une cause juste et suffisante, peu importe qu’il soit en probation ou dans un nouveau poste.
3. La progression des sanctions s’impose. À moins qu’il y ait faute grave, un employeur doit donner des avertissements progressifs avant de congédier un employé protégé.
4. Les périodes d’absence (maladie, congés) ne brisent pas le service continu.
5. L’évaluation en période de probation n’a pas préséance sur la loi. Même en probation, un employé protégé ne peut être congédié arbitrairement.
6. La LNT est une loi d’ordre public. Un employeur ne peut y déroger par contrat ou politique interne. Elle s’applique même si les fonctions sont différentes ou si des conditions de probation sont prévues.
Conclusion
Cette décision rappelle aux employeurs l’importance de bien comprendre les protections offertes par la Loi sur les normes du travail. La période de probation n’est pas un “passe-droit” permettant de congédier un employé sans justification. Dès qu’un salarié cumule deux ans de service continu, ses droits s’élargissent, et les obligations de l’employeur deviennent plus rigoureuses.
Vous êtes employeur et souhaitez revoir vos pratiques d’embauche ou de gestion disciplinaire? Il est fortement recommandé de consulter un professionnel en droit du travail ou en relations industrielles.