top of page

Clause de préavis et congédiement : quand le motif sérieux écarte l’indemnité de fin d’emploi.

  • Photo du rédacteur: Laurie Croteau
    Laurie Croteau
  • 14 mai
  • 4 min de lecture


Une décision récente de la Cour du Québec (2025 QCCQ 53) éclaire de manière significative la portée réelle d’une clause de préavis dans un contrat de travail à durée indéterminée. Dans cette affaire, la Cour a jugé que la seule présence d’un préavis contractuel n’exclut pas l’application de l’article 2094 du Code civil du Québec (C.c.Q.), lequel permet à l’employeur comme à l’employé de résilier unilatéralement le contrat sans préavis lorsqu’un motif sérieux est démontré.


Les faits : une relation d’emploi écourtée après deux semaines


Le salarié en cause, un avocat, avait été embauché par une entreprise œuvrant auprès d'une clientèle vulnérable, principalement composée de personnes accidentées du travail ou de la route. Son contrat, signé en janvier 2023, était à durée indéterminée et prévoyait un préavis de quatre semaines en cas de cessation de l’emploi, que ce soit à l’initiative de l’employeur ou de l’employé.


À peine 14 jours après son entrée en fonction, l’employeur mettait fin au contrat, sans verser ni indemnité ni préavis. Le salarié intentait alors une action en réclamation devant la Division des petites créances, réclamant le versement de l’indemnité prévue au contrat.


Le motif sérieux : une combinaison de comportements fautifs


La Cour a refusé d’accorder l’indemnité de fin d’emploi, concluant que l’employeur avait raisonnablement justifié la résiliation immédiate de la relation de travail en vertu de l’article 2094 C.c.Q. Les motifs invoqués allaient au-delà d’une simple insatisfaction de performance et reposaient sur des manquements graves ayant compromis le lien de confiance.

Parmi les faits retenus par le juge :


  • Refus de suivre les procédures internes : le salarié n’a pas respecté les directives liées au maintien et au traitement des dossiers, bien qu’il ait été formé aux outils et aux méthodes de l’entreprise. Ce refus explicite, notamment adressé à une supérieure, constituait un acte d’insubordination et d’indiscipline.


  • Attitude problématique envers les collègues : l’individu a adopté un comportement qualifié de hautain, ce qui a suscité un malaise notable au sein de l’équipe de travail.


  • Commentaire déplacé à l’égard d’une cliente : l’un des événements déclencheurs du congédiement fut la plainte d’une cliente concernant une remarque liée à la consommation de drogue ou de médicaments, perçue comme inappropriée et irrespectueuse. Ce comportement, dans le contexte d’une clientèle vulnérable, a été jugé d’une gravité accrue.


Le juge Riverin a estimé que ces gestes, pris ensemble, témoignaient d’une rupture réelle et objectivement fondée du lien de confiance, ce qui justifiait la résiliation immédiate sans préavis.


Une clause de préavis n’efface pas le droit à la résiliation pour motif sérieux


L’élément juridique central de cette affaire portait sur l’interprétation d’une clause contractuelle qui stipulait un préavis fixe de quatre semaines, à fournir en cas de fin de contrat. Le salarié prétendait que cette clause empêchait l’application de l’article 2094 C.c.Q., qui autorise la résiliation unilatérale sans préavis en cas de faute grave. La Cour a rejeté cette prétention, en précisant que :


« Le contrat comporte une ambiguïté. Il n’y est pas clairement indiqué que les parties renoncent au droit prévu à l’article 2094 du Code civil du Québec. »

En droit québécois, la renonciation à un droit prévu par la loi doit être claire, explicite et non équivoque. L’ajout d’une clause de préavis ne suffit pas à démontrer une intention de renoncer au recours prévu par l’article 2094.


Le juge a souligné qu’il serait inéquitable, au sens de l’article 1434 C.c.Q., de forcer un employeur à maintenir un lien d’emploi — ou à verser une indemnité — en présence d’un comportement fautif grave. Il en irait de même pour un employé qui, victime de harcèlement ou d’agression, souhaiterait démissionner sans préavis.


Le rappel d’un principe fondamental en droit du travail


Cette décision illustre avec force que le droit de résiliation unilatérale pour motif sérieux découle de la nature même du contrat de travail, et que ce droit subsiste même en présence d’une clause de préavis, à moins d’une renonciation expresse. Ce principe est enraciné dans l’économie générale du Code civil du Québec, mais aussi dans la Loi sur les normes du travail (LNT), notamment en ce qui a trait aux dispositions relatives aux congédiements injustifiés ou sans cause juste et suffisante (art. 82 et 124 LNT).


En pratique : que doivent retenir les parties au contrat de travail?

Pour les employeurs :


  • Une preuve solide et documentée est essentielle pour justifier un congédiement sans préavis pour motif sérieux.

  • L’ajout d’une clause de préavis dans un contrat ne prive pas automatiquement de ce recours, mais la communication claire des attentes et des règles internes demeure primordiale.

  • La formation, le suivi et l’encadrement dès l’embauche sont des éléments clés pour prévenir les conflits liés aux performances ou aux comportements.


Pour les employés :


  • Une clause de préavis ne garantit pas une indemnité en toutes circonstances.

  • Un comportement jugé inapproprié ou irrespectueux envers des collègues ou des clients peut justifier un congédiement immédiat, sans compensation.

  • La connaissance et le respect des politiques internes sont essentiels, surtout dans les milieux où la clientèle est vulnérable ou où les standards professionnels sont élevés.


Conclusion


La décision rendue dans cette affaire rappelle que le contrat de travail est encadré par un équilibre entre les droits contractuels et les principes d’ordre public du Code civil. La clause de préavis ne constitue pas un blindage contre une rupture immédiate en cas de faute grave. Elle doit être comprise comme une modalité normale de cessation d’emploi… sauf en cas de motif sérieux.


Avant de conclure ou de résilier un contrat de travail, il est toujours conseillé de consulter un professionnel, tel qu’un conseiller en relations industrielles agréé (CRIA) ou un avocat en droit du travail, pour assurer une gestion équitable et conforme aux lois en vigueur.


 
 
bottom of page