top of page

Un congédiement trop hâtif peut coûter cher : ce que les employeurs doivent savoir

La récente décision du Tribunal administratif du travail dans l’affaire Pichette c. Buffets Je Reçois inc., rendue le 10 février 2025, est riche d’enseignements pour tout employeur confronté à un employé difficile. Dans ce cas, un livreur au tempérament colérique et au comportement jugé inacceptable à plusieurs reprises a été congédié après une altercation de trop. Pourtant, malgré la nature du comportement reproché, le Tribunal a annulé le congédiement et ordonné sa réintégration, estimant que l’employeur n’avait pas respecté les principes de droit du travail applicables.


Résumé des faits : un comportement problématique mais toléré trop longtemps


Pendant plus de deux ans, l’employeur a toléré des sautes d’humeur, des propos vulgaires et des altercations verbales de la part du livreur. Plusieurs événements sont survenus dans les semaines précédant le congédiement, notamment :


  • Des propos irrespectueux et une livraison effectuée sur un ton agressif à la directrice des ventes.

  • Des blasphèmes et une attitude hostile envers la coordonnatrice de l’événementiel, même pendant qu’elle était en communication avec une cliente.

  • Une altercation avec la responsable des achats, incluant des insultes et un souhait explicite qu’une commande soit incomplète.


Devant ce comportement accumulé, l’employeur a mis fin à l’emploi du travailleur en invoquant un non-respect des valeurs de l’entreprise et des problèmes d’attitude.


La décision du Tribunal : un congédiement injustifié


Le Tribunal reconnaît que les gestes posés sont inacceptables, mais conclut qu’il ne s’agissait pas d’une faute grave au sens de la loi, c’est-à-dire une faute si sérieuse qu’elle justifierait à elle seule une rupture immédiate du lien d’emploi. Surtout, il insiste sur l’absence de gradation des sanctions :

« À aucun moment il n’a pu prendre conscience que ses comportements impulsifs pourraient éventuellement lui faire perdre son emploi. » (par. 51 de la décision)

Même si l’employeur avait rencontré l’employé à plusieurs reprises, ces interventions n’ont jamais pris la forme de sanctions écrites ou progressives. Aucune mise en garde officielle, aucune suspension disciplinaire, aucun avertissement formel. Le Tribunal y voit un manquement fondamental aux obligations de l’employeur dans un contexte disciplinaire.


Sanction substituée : une suspension de 4 semaines


En guise de sanction plus appropriée, le Tribunal substitue au congédiement une suspension disciplinaire sans salaire d’une durée de quatre semaines. Cela vise à marquer la gravité des gestes posés tout en respectant le principe de progression dans les sanctions. De plus, il ordonne la réintégration du travailleur, malgré les prétentions des deux parties qu’un retour au travail est impossible.


Le Tribunal rappelle qu’en matière de congédiement sans cause juste et suffisante, la réintégration est la mesure normale, à moins de preuve d’un obstacle sérieux — ce qui n’a pas été démontré en l'espèce.


Leçons pour les employeurs : agir avec méthode, non avec émotion


1. La discipline doit être progressive et documentée


L’employeur a commis une erreur fréquente : tolérer des comportements pendant des mois, voire des années, puis poser un geste disciplinaire radical sans avertissement préalable. Cela ne résiste pas à l’analyse du Tribunal, surtout en matière de normes du travail, où l’accent est mis sur l’équité procédurale.


2. La preuve est essentielle


Plusieurs gestes reprochés n’ont pas été considérés parce qu’ils n’étaient pas bien documentés, que les témoins n’ont pas été entendus ou que les allégations étaient trop vagues. L’efficacité d’un processus disciplinaire repose sur une preuve crédible, complète et bien conservée.


3. L’exaspération n’est pas une stratégie


Le congédiement a été précipité, motivé par l’émotion, ce qui a nui à la crédibilité de la décision. Le Tribunal a considéré que l’employeur, ayant toléré ce comportement pendant plus de deux ans, ne pouvait soudainement invoquer une rupture du lien de confiance.


Faire appel à un professionnel : une étape incontournable


La gestion disciplinaire, surtout lorsqu’elle peut mener à un congédiement, doit se faire avec l’accompagnement d’un professionnel en relations du travail. Ce dernier peut :


  • Aider à poser un diagnostic juste de la situation;

  • Rédiger les mesures disciplinaires dans le respect des normes juridiques;

  • S’assurer que les interventions soient proportionnées et progressives;

  • Évaluer les risques juridiques avant toute mesure extrême comme un congédiement.


Il ne s’agit pas simplement d’éviter une erreur — il s’agit de protéger l’entreprise contre des décisions coûteuses, comme devoir réintégrer un employé difficile et lui verser des indemnités importantes.



 
 
bottom of page