Les produits de vapotage peuvent-ils contribuer à une lésion professionnelle ?
- Laurie Croteau
- 27 avr.
- 4 min de lecture

Dans l’affaire Métaux Garon et Racine ltée, 2024 QCTAT 4076, le Tribunal administratif du travail a été appelé à trancher une contestation portant sur une demande de partage de coûts présentée par un employeur. Cette décision offre un rappel important du fardeau de preuve qui repose sur l’employeur lorsqu’il invoque une déficience préexistante pour réduire son imputation financière liée à une lésion professionnelle.
Contexte
Un travailleur occupant un poste de machiniste a subi une fracture à la suite d'un accident survenu en milieu de travail. L'employeur a présenté une demande auprès de la CNESST en vue d'obtenir un partage des coûts des prestations, soutenant que le travailleur souffrait d'une déficience physique au moment de la lésion. Cette déficience aurait, selon lui, retardé la consolidation osseuse, augmentant ainsi les coûts liés à l’accident.
La déficience invoquée par l’employeur était liée à l'utilisation d'une vapoteuse contenant du tabac ou de la nicotine. L'argument principal était que cette consommation aurait des effets similaires à ceux du tabagisme conventionnel, connu pour nuire au processus de guérison osseuse.
La CNESST a rejeté la demande de partage des coûts, décision qui a été confirmée en révision administrative. L'employeur a donc porté la contestation devant le Tribunal administratif du travail.
Analyse du Tribunal
Le Tribunal devait répondre à deux questions fondamentales :
Est-ce que le travailleur était porteur d’une déficience lors de la survenance de la lésion professionnelle ?
Si oui, est-ce que cette déficience a influencé la survenance ou les conséquences de la lésion ?
Le Tribunal a conclu qu’il n'était pas démontré, de façon prépondérante, que le travailleur présentait une déficience au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) au moment de l'accident.
Absence de preuve suffisante
L'examen de la preuve a révélé plusieurs lacunes importantes :
Les médecins ayant évalué le travailleur avaient seulement mentionné qu’il utilisait une vapoteuse, sans précision sur la teneur en nicotine du liquide utilisé, la fréquence d’utilisation ou les habitudes antérieures de tabagisme.
Le Tribunal rappelle que les produits de vapotage ne contiennent pas de tabac. Ils peuvent contenir de la nicotine, mais à des concentrations très variables, désormais limitées à 20 mg/mL en vertu de la réglementation fédérale.
Assimiler les effets du vapotage à ceux du tabagisme conventionnel, sans preuve précise sur la consommation effective de nicotine, est considéré comme une hypothèse et non une démonstration probante.
Appréciation de l’opinion médicale
L’employeur a produit une opinion médicale selon laquelle la consommation de nicotine aurait pu nuire à la formation de nouveaux vaisseaux sanguins, ralentissant ainsi la guérison osseuse. Toutefois, cette opinion reposait principalement sur des études animales et sur des cas isolés chez l’humain, ce qui a limité leur valeur probante.
Le Tribunal a estimé que les études citées n’étaient pas suffisamment solides pour tirer des conclusions applicables au dossier :
Certaines études portaient uniquement sur des souris ou des rats.
D’autres se basaient sur des échantillons humains trop restreints pour en tirer des généralisations.
Application du droit
Conformément à la jurisprudence constante, pour qu’un employeur puisse bénéficier d’un partage des coûts en vertu de l’article 329 LATMP, deux éléments doivent être démontrés :
Une déficience préexistante, définie comme une perte ou altération d'une fonction physiologique, anatomique ou psychologique.
Un lien de causalité entre cette déficience et la lésion professionnelle ou ses conséquences.
En l’absence de preuve claire sur la consommation de nicotine, sur son intensité et sur ses effets précis sur le travailleur en cause, le Tribunal a refusé de qualifier l’utilisation de la vapoteuse comme une déficience.
Le Tribunal a également insisté sur la distinction entre l’usage du tabac conventionnel et l'usage de la cigarette électronique, soulignant que les effets du vapotage ne sont pas encore bien connus scientifiquement, ce qui complique toute tentative d’analogie sans preuve directe.
Décision
La contestation de l’employeur a été rejetée. L’employeur demeure imputé de la totalité des coûts liés à la lésion professionnelle du travailleur.
Enseignements pour les employeurs
Cette décision réaffirme plusieurs principes essentiels en matière de partage des coûts dans le régime québécois de santé et sécurité au travail :
1. Le fardeau de la preuve est lourd
Un employeur qui demande un partage de l’imputation doit démontrer par une preuve prépondérante qu’une déficience préexistante existait et qu’elle a influencé l’accident ou sa guérison. Il ne suffit pas de se baser sur des hypothèses ou des généralisations.
2. Le vapotage n’est pas assimilé au tabagisme traditionnel
Le Tribunal fait une distinction claire entre l’usage de cigarettes traditionnelles et celui de produits de vapotage. Sans preuve spécifique sur la consommation réelle de nicotine et ses effets sur le travailleur, une demande fondée sur le vapotage a peu de chances de succès.
3. La qualité de l’opinion médicale est déterminante
Une opinion médicale doit reposer sur des études scientifiques fiables, pertinentes et appliquées au cas particulier. Les études expérimentales sur des animaux ou les hypothèses générales sans fondement clinique solide sont insuffisantes pour convaincre le Tribunal.
4. La prudence est requise en matière de contestation
Avant de contester une décision de la CNESST ou de demander un partage de coûts, il est essentiel pour un employeur de s’assurer que la preuve médicale et factuelle est complète, précise et convaincante.
Conclusion
La décision rendue dans l'affaire Métaux Garon et Racine ltée démontre que l’interprétation des notions de déficience et de handicap demeure rigoureuse. En l'absence de preuve directe et probante, la simple utilisation d'une vapoteuse par un travailleur ne peut être considérée comme une déficience justifiant un partage des coûts.
Les employeurs doivent donc investir les efforts nécessaires pour constituer une preuve complète s'ils souhaitent obtenir un allègement de leur imputation financière, particulièrement dans des domaines médicaux où les connaissances scientifiques sont encore en évolution.