Quand aller se faire vacciner sur son temps de travail mène à une fracture -S’agit-il d’un accident du travail ?
- Laurie Croteau
- 23 avr.
- 4 min de lecture

Une auxiliaire familiale au service d’un Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de Montréal a été blessée après avoir reçu sa deuxième dose du vaccin contre la COVID-19. Alors qu’elle marchait pour retourner à son véhicule, elle a chuté sur le trottoir, à environ 1,5 km de la clinique, se fracturant la rotule droite.
La question centrale ? S’agissait-il d’un accident du travail ? Et plus précisément : cette chute est-elle survenue à l’occasion du travail, selon les critères définis par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) ?
Une chute, un vaccin, et un débat juridique
Les faits ne sont pas contestés : la travailleuse a reçu son vaccin à la demande de son employeur, dans une plage horaire aménagée spécialement pour ce rendez-vous. Elle était compensée à hauteur de deux heures de salaire, bien qu’aucune tâche directe ne fût exécutée pendant cette période. Elle n’était pas encore en intervention à domicile, mais devait l’être dans l’heure suivant l’incident.
L’employeur, pourtant, conteste : pour lui, la travailleuse n’était pas encore « au travail », et se trouvait dans sa sphère personnelle — en déplacement entre une clinique et, possiblement, son domicile pour y prendre un repas. Selon cette logique, la blessure ne relèverait pas du régime d’indemnisation.
Le Tribunal, dans une décision étoffée (2024 QCTAT 4484), rejette fermement cette interprétation.
Sphère professionnelle vs. sphère personnelle : une ligne mouvante
Dans le droit québécois, une lésion professionnelle peut résulter d’un accident par le fait du travail (c’est-à-dire pendant l’exécution directe de ses tâches), ou à l’occasion du travail — une notion plus souple, mais aussi plus complexe à cerner. Pour évaluer si un événement relève de la sphère professionnelle, le TAT examine une série d’éléments :
le moment de l’événement ;
le lieu ;
l’existence d’un lien de subordination ;
la rémunération (ou une autre forme de compensation) ;
et surtout, l’utilité de l’activité pour l’employeur.
Dans ce cas, le Tribunal constate que l’ensemble de ces critères est satisfait :
Le rendez-vous de vaccination était planifié et soutenu par l’employeur.
L’horaire de la travailleuse avait été modifié pour lui permettre de s’y rendre.
Elle recevait une compensation financière.
L’employeur prévoyait aussi le remboursement des frais de transport, preuve que le déplacement était prévu dans le cadre professionnel.
Enfin, la vaccination avait pour but de réduire les risques de contagion dans un milieu où les interventions à domicile sont fréquentes, ce qui était manifestement dans l’intérêt direct de l’employeur.
Service commandé ou activité personnelle ? Une nuance capitale
Le Tribunal tranche : le déplacement de la travailleuse, même effectué hors du lieu habituel de travail, constitue un service commandé.
Autrement dit, elle se déplaçait non pas pour une fin personnelle, mais dans le cadre d’une activité imposée par les circonstances sanitaires et fortement encouragée par l’employeur, qui en tirait un bénéfice évident. Ce concept de « service commandé » n’est pas nouveau en jurisprudence. Il a été reconnu dans divers cas, notamment pour :
des formations obligatoires ;
des rendez-vous médicaux exigés par l’employeur ;
ou encore des activités professionnelles tenues en dehors des heures régulières.
Dans cette affaire, le Tribunal s’appuie aussi sur une décision parallèle impliquant le même CIUSSS, dans laquelle une préposée aux bénéficiaires avait été reconnue dans sa sphère professionnelle en se rendant à un test de dépistage obligatoire.
L’impact du contexte pandémique sur l’analyse juridique
Le contexte de la pandémie et l’arrêté ministériel 2021-024 ont également pesé lourd dans la balance. Cet arrêté :
obligeait les travailleurs de la santé à fournir une preuve de vaccination ou à subir trois tests de dépistage hebdomadaires ;
prévoyait même un retrait sans solde en cas de non-conformité.
Ce cadre réglementaire, combiné aux efforts de l’employeur pour faciliter l’accès à la vaccination, a permis au Tribunal de conclure que la vaccination n’était pas un choix purement personnel, mais bel et bien une obligation professionnelle déguisée.
Une compensation, qu’elle soit salariale ou non, change tout
Même si la rémunération offerte à la travailleuse n’était pas du « salaire » au sens strict (puisqu’elle ne correspondait pas à des heures travaillées), le Tribunal souligne qu’elle représentait une reconnaissance claire de l’utilité de l’activité pour l’employeur.
Comme le rappelle la jurisprudence, un employeur ne compense pas les activités personnelles de ses salariés.
Le simple fait de verser un montant forfaitaire pour le déplacement suffit à rattacher l’activité à la sphère professionnelle.
Conclusion : un précédent clair pour le personnel du réseau de la santé
Le Tribunal administratif du travail conclut donc que la chute survenue lors du retour de la clinique de vaccination constitue un accident du travail survenu à l’occasion du travail.
L’employeur est débouté, et la décision de la CNESST confirmée. La travailleuse a droit aux prestations prévues par la LATMP.
Pourquoi cette décision est importante
Cette affaire illustre de manière très concrète :
l’élargissement de la notion de « sphère professionnelle » dans un contexte de pandémie ;
la reconnaissance juridique d’activités de santé publique comme étant rattachées au travail ;
et le rôle des compensations, même symboliques, dans l’établissement d’un lien avec l’employeur.
Elle pourrait avoir des répercussions pour de nombreux travailleurs, notamment dans les secteurs de la santé, de l’éducation ou des services essentiels, qui ont dû se plier à des exigences sanitaires en dehors de leurs tâches habituelles.