Tolérance zéro et civilité au travail : une suspension de trois semaines jugée justifiée.
- Laurie Croteau
- il y a 2 jours
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Dans une décision récente, le Tribunal d’arbitrage du Québec a confirmé la suspension disciplinaire de trois semaines imposée à un salarié de la Ville de Montréal pour des gestes d’incivilité et d’intimidation envers un collègue. Cette décision, rendue dans l’affaire Ville de Montréal et SCFP-301 (Gianni Pellegrino), 2025 QCTA 238, illustre avec rigueur les exigences croissantes des employeurs en matière de civilité au travail et les conséquences disciplinaires d’un écart de conduite.
Contexte : des gestes irrespectueux à l’encontre d’un collègue
Le plaignant, soudeur-assembleur de machinerie lourde à l’atelier mécanique St-Laurent, cumulait 19 années de service. En mai 2023, il a transmis un message texte personnel à un collègue, dans lequel il écrivait notamment :
« Bonne chance avec ton nouveau travail, et j’espère que tu ne remueras pas la merde comme tu l’as fait ici à St-Laurent… bon débarras ».
Peu après, un message similaire : « Bye Michel bon débarras » est apparu sur un panneau électronique mobile dans l’atelier, visible par les autres salariés. L’enquête patronale a également révélé qu’un vêtement de travail appartenant à la victime avait été suspendu à la ventilation du plafond.
Bien que le plaignant ait nié toute participation au message affiché, le Tribunal a conclu, au terme d’une preuve circonstancielle lourde et convaincante, qu’il avait bel et bien pris part à un stratagème d’intimidation. Son témoignage a été jugé peu crédible en raison de versions contradictoires, de son manque de collaboration à l’enquête interne, et de son absence de remords.
L’obligation de civilité : une exigence juridique bien établie
L’affaire met en lumière la portée juridique de l’obligation de civilité en milieu de travail, laquelle découle notamment de l’article 2088 du Code civil du Québec (devoir de loyauté, diligence et bonne foi), du Code de conduite de l’employeur, ainsi que des chartes des droits et libertés. Cette obligation n’exige pas des employés qu’ils s’aiment ou s’apprécient, mais qu’ils se comportent avec respect, même en situation de conflit ou de désaccord.
Dans sa décision, l’arbitre rappelle que :
« Il n’existe pas de droit à l’impolitesse, à la grossièreté ou à l’intimidation en milieu de travail. »
La Ville de Montréal avait mis en place une politique de tolérance zéro en matière d’incivilité, fondée sur le respect de la dignité et la prévention du harcèlement. Le Tribunal a reconnu que cette politique était connue du salarié et pleinement applicable dans les circonstances.
Une sanction jugée proportionnée malgré la sévérité
Le Syndicat soutenait que la suspension était excessive, plaidant que la gradation des sanctions n’avait pas été respectée. Or, comme le souligne la jurisprudence, ce principe n’est pas absolu. En cas de faute grave ou de politique explicite, un employeur peut imposer d’emblée une sanction sévère, pourvu que celle-ci soit juste et raisonnable au regard du contexte.
Plusieurs facteurs aggravants ont pesé lourdement contre le plaignant :
Son ancienneté importante, qui aurait dû l’amener à faire preuve de maturité.
La préméditation du message texte.
Son rôle d’instigateur dans le climat hostile envers le collègue.
L’absence totale de collaboration à l’enquête et de remords.
Sa connaissance des règles de conduite en vigueur.
À l’inverse, aucun facteur atténuant n’a été retenu. L’arbitre a jugé que réduire la sanction n’aurait eu aucun effet pédagogique sur le plaignant.
La responsabilité partagée : un principe clé
L’arbitre insiste sur le fait que la responsabilité de maintenir un climat de travail sain ne repose pas uniquement sur l’employeur, mais aussi sur les salariés et le syndicat. Il écrit notamment que :
« La conduite du plaignant heurte de front l’obligation partagée par l’employeur et le syndicat de fournir à tous les salariés un milieu de travail sain et harmonieux. »
Cette phrase ne doit pas être prise à la légère : elle consacre l’idée selon laquelle les syndicats, en tant que parties signataires des conventions collectives, ont aussi un devoir proactif dans la prévention et la dénonciation des comportements irrespectueux. Autrement dit, défendre un membre ne signifie pas cautionner ses gestes. Le rôle du syndicat est double : protéger les droits du salarié tout en soutenant l’ordre et la décence au sein de l’environnement de travail.
En rejetant le grief, le Tribunal rappelle aussi que la solidarité syndicale ne peut servir à justifier ou minimiser des gestes contraires aux valeurs collectives entérinées dans les politiques internes et les conventions collectives. Il revient donc au syndicat, lorsqu’un grief est déposé, de faire une lecture responsable de la situation, en tenant compte de l’impact des gestes fautifs sur l’ensemble du milieu de travail.
La notion de responsabilité partagée est essentielle à retenir ici. Si l’employeur a la responsabilité légale de prévenir et sanctionner les comportements fautifs, les employés ont le devoir de contribuer à un climat respectueux, et les syndicats, celui d'encadrer les comportements de leurs membres dans le respect des valeurs communes.
Un syndicat n’est pas seulement une instance de défense, mais également un acteur du bien-être collectif. Il peut (et doit) être un allié de l’employeur dans la lutte contre l’incivilité, non par complaisance, mais par cohérence avec les engagements contractuels et juridiques pris au nom de ses membres.
Conclusion
La décision Pellegrino réaffirme que les gestes d’intimidation ou d’exclusion, même subtils ou indirects, n’ont pas leur place au travail. Une sanction disciplinaire, pour être justifiée, doit s’ancrer dans une preuve solide, dans une analyse contextuelle rigoureuse, et viser un effet dissuasif réel. C’est ce que le Tribunal d’arbitrage a reconnu ici, en rejetant le grief du plaignant. Dans un contexte où la civilité est érigée en valeur organisationnelle centrale, tous les acteurs du monde du travail doivent se montrer à la hauteur de leurs responsabilités.