Harcèlement psychologique et congédiement déguisé : une décision lourde de conséquences.
- Laurie Croteau
- 29 sept.
- 3 min de lecture

Le Tribunal administratif du travail (TAT) a récemment rendu une décision frappante (Charbonneau c. Graphite Nordique inc., 2025 QCTAT 2235) dans laquelle il a accueilli deux plaintes déposées en vertu de la Loi sur les normes du travail (LNT) : l’une pour harcèlement psychologique, l’autre pour congédiement sans cause juste et suffisante.
Les faits
La plaignante occupait un poste d’adjointe administrative et de responsable des achats dans une entreprise d’extraction de graphite. Elle a dénoncé des comportements hostiles de deux personnes :
Une sous-traitante, responsable de la facturation, qui lui criait après, utilisait des blasphèmes et l’insultait (« idiote », « imbécile », « pas d’allure »). Ces scènes ont parfois eu lieu devant des collègues et gestionnaires. La sous-traitante la contactait même lors de ses congés pour critiquer son travail.
La directrice des ressources humaines (DRH), qui l’a confrontée lors d’une rencontre en lui reprochant son attitude et son « manque de collaboration ». L’incident le plus grave est survenu quand la DRH est allée dans le bureau de la salariée, a haussé le ton, lui a bloqué la sortie en fermant la porte et a refusé de quitter les lieux. La salariée, paniquée, a menacé d’appeler la police avant de pouvoir s’enfermer dans son bureau.
À la suite de ces événements, la salariée a été mise en arrêt de travail par son médecin. Ce dernier a même conclu que le lien d’emploi nuisait à son rétablissement et que la situation avait provoqué des symptômes de stress post-traumatique.
Quelques mois plus tard, alors qu’elle était toujours en invalidité, l’employeur lui a transmis une lettre indiquant que son poste était aboli. Or, la preuve a démontré qu’une autre personne avait rapidement repris l’ensemble de ses tâches dans le même bureau.
La décision du TAT
Le juge administratif a accueilli les deux plaintes :
Harcèlement psychologique (art. 123.6 LNT)
Les gestes et propos de la sous-traitante et de la DRH constituaient une conduite vexatoire, répétée, hostile et non désirée, portant atteinte à la dignité et à l’intégrité psychologique de la salariée.
L’épisode où la DRH a empêché la salariée de quitter son bureau a été jugé suffisamment grave pour constituer, à lui seul, un cas de harcèlement psychologique.
L’employeur a été reconnu responsable non seulement des gestes de la DRH, mais aussi de ceux de la sous-traitante, en vertu de l’article 81.19 LNT.
Bien que la direction ait été avisée des comportements dès l’été 2022, aucune mesure concrète n’a été prise pour corriger la situation.
Congédiement déguisé (art. 124 LNT)
L’abolition de poste invoquée par l’employeur n’était qu’un prétexte.
Les tâches de la salariée continuaient d’exister et étaient accomplies par une remplaçante, toujours en poste au moment de la décision.
L’employeur, absent à l’audience, n’a présenté aucune preuve justifiant la fin d’emploi.
Le Tribunal a donc conclu à un congédiement sans cause juste et suffisante.
Mesures ordonnées
Le congédiement a été annulé.
Toutefois, la salariée n’a pas souhaité réintégrer son poste, ce qui a été jugé raisonnable compte tenu de son état de santé et des circonstances.
Le Tribunal a réservé sa compétence pour fixer ultérieurement les mesures de réparation financières appropriées.
Les enseignements à retenir
Cette affaire met en évidence plusieurs points clés pour les employeurs :
Un seul geste grave peut suffire à établir du harcèlement psychologique, surtout s’il émane d’une personne en autorité.
L’employeur est responsable des agissements de tiers, comme des sous-traitants, s’ils créent un climat de travail néfaste pour les salariés.
L’inaction face à une plainte mine la défense de l’employeur : annoncer des mesures sans suivi réel n’est pas suffisant.
Un licenciement invoqué pour des motifs économiques ou organisationnels doit être réel et démontré par preuve. À défaut, il risque d’être requalifié en congédiement déguisé.
Conclusion
Cette décision illustre à quel point le manque de réaction et de rigueur peut coûter cher à un employeur. Non seulement il s’expose à un constat de harcèlement psychologique, mais aussi à des recours coûteux en cas de congédiement mal justifié.