Le devoir d’accommodement s’applique-t-il si l’employeur ignore le problème de toxicomanie ?
- Laurie Croteau
- 18 mai
- 3 min de lecture

Dans une décision récente (Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau, section locale 2000 c. Hydro-Québec, 2024 QCTA 232), un arbitre a confirmé le congédiement d’un salarié souffrant de dépendance à l’alcool et aux drogues, en soulignant un principe essentiel : un employeur ne peut être tenu responsable d’une situation qu’il ignore.
Cette décision soulève des questions fondamentales sur la protection offerte par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec aux employés en situation de handicap – ce qui inclut les troubles de dépendance – et sur les obligations de divulgation des employés.
Les faits en bref
Le salarié, magasinier chez Hydro-Québec depuis plusieurs années, a été congédié à la suite de manquements disciplinaires graves : retards fréquents, absences injustifiées et, surtout, fausses déclarations d’heures travaillées. Ces gestes ont été assimilés à un abus de confiance et à du vol de temps.
Durant la rencontre disciplinaire tenue avant son congédiement, il a évoqué des « problèmes personnels », sans préciser qu’il faisait alors une rechute de consommation. Ce n’est que lors de l’audience arbitrale, bien après la fin d’emploi, qu’il a reconnu souffrir d’une dépendance, dont il était conscient à l’époque.
L'enjeu : l’obligation d’accommodement s’applique-t-elle?
Selon la Charte, un employeur a le devoir d’accommoder un salarié qui présente un handicap, incluant une dépendance à l’alcool ou aux drogues. Toutefois, ce devoir ne se déclenche que si l’employeur est au courant de la situation ou s’il existe des indices clairs et sérieux permettant de soupçonner un tel problème. Dans ce dossier, l’arbitre Denis Nadeau a rappelé un principe central de la jurisprudence :
« Tant que l’employeur ignore le problème d’alcoolisme ou de toxicomanie d’un de ses employés, sa responsabilité dans la reconnaissance et le traitement de ce problème ne peut être engagée. »
Ici, aucun comportement au travail ne permettait raisonnablement aux gestionnaires de faire un lien avec une dépendance. Le salarié ne consommait pas sur les lieux de travail, ne montrait pas de signes évidents de détresse liés à une consommation active, et n’a jamais invoqué ses dépendances dans les discussions avec ses supérieurs.
En fait, il a même dissimulé une thérapie antérieure et a préféré expliquer ses absences par une plainte de harcèlement, qui a été rejetée.
Ce qu’il faut retenir
Cette décision illustre de façon éloquente que le silence d’un employé peut nuire à la reconnaissance de ses droits, même si ceux-ci sont protégés par des lois aussi fondamentales que la Charte. L’arbitre conclut que le salarié, malgré ses souffrances, a fait le choix de ne pas révéler son problème de dépendance à ses gestionnaires, privant ainsi l’employeur de toute possibilité d’agir autrement que par des mesures disciplinaires.
Réflexions pour les milieux de travail
Cette affaire incite à plusieurs réflexions, tant pour les employeurs que pour les salariés :
Pour les employés, il est crucial de comprendre que la protection légale en cas de handicap repose souvent sur la communication. Les sentiments de honte ou de gêne sont compréhensibles, mais se taire peut avoir des conséquences graves sur le maintien en emploi.
Pour les employeurs, même si la confidentialité des dossiers de santé (comme ceux gérés par un Pôle santé ou le PAE) limite l’accès à certains renseignements, il peut être judicieux d’adopter une posture proactive, en rappelant régulièrement les ressources disponibles et en documentant les démarches d’accompagnement proposées.
Pour les syndicats, cette décision rappelle l’importance de sensibiliser leurs membres à l’impact de la non-divulgation sur l’application de l’obligation d’accommodement. Une simple allusion à des « problèmes personnels » ne suffit pas à activer cette protection légale.
Pour des conseils adaptés à une situation particulière, consultez un conseiller en relations industrielles agréé.