La responsabilité patronale en cas de harcèlement sexuel au travail.
- Laurie Croteau
- il y a 3 jours
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Dans une décision rendue en août 2024, le Tribunal administratif du travail (TAT) a rejeté une plainte pour harcèlement sexuel déposée en vertu de l’article 123.6 de la Loi sur les normes du travail (LNT). Pourtant, les faits rapportés par la travailleuse étaient graves et reconnus : des propos à connotation sexuelle, des invitations non sollicitées et un attouchement lors d’un événement social d’entreprise. Malgré cela, l’employeur n’a pas été tenu responsable.
Pourquoi? Parce que le Tribunal a jugé que les moyens raisonnables avaient été pris pour prévenir le harcèlement et y mettre fin dès qu’il a été dénoncé.
Cette décision, bien que favorable à l’employeur, n’est pas exempte de critiques. Elle offre surtout un rappel percutant : les obligations légales ne se confondent pas avec les meilleures pratiques. Légalement conforme ne signifie pas humainement irréprochable.
La portée de l’obligation patronale
Selon l’article 81.19 de la LNT, l’employeur doit prendre « les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique, incluant le harcèlement à caractère sexuel, et pour le faire cesser lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance ».
Il ne s’agit pas d’une obligation de résultat, mais bien d’une obligation de moyens, évaluée selon le contexte, la nature de l’organisation, les ressources disponibles et les mesures effectivement mises en œuvre.
Dans cette affaire, l’employeur avait notamment :
Ouvert une enquête interne dès la réception d’une plainte écrite ;
Convoqué l’employé visé, en présence d’un représentant syndical ;
Donné des instructions claires pour faire cesser les comportements fautifs ;
Imposé une suspension disciplinaire de cinq jours, considérée proportionnée compte tenu de l’ancienneté et du dossier vierge de l’employé en cause.
Ces gestes ont convaincu le Tribunal que l’obligation prévue à la LNT avait été remplie. La plainte a donc été rejetée, malgré le constat explicite de harcèlement sexuel.
Des constats préoccupants
Au-delà de cette conclusion juridique, plusieurs éléments du dossier soulignent des angles morts dans la gestion patronale :
Lenteur de l’enquête : plus de quatre mois se sont écoulés avant que la plaignante reçoive les conclusions officielles. Ce délai a contribué à son sentiment d’isolement et d’insécurité.
Confidentialité non assurée : des collègues non impliqués ont été mis au courant de la plainte, exposant la travailleuse à un changement d’attitude au sein de l’équipe et à une rupture dans les relations professionnelles.
Absence de soutien psychologique : aucune mesure n’a été offerte pour accompagner la plaignante, même si son état psychologique s’était visiblement détérioré à la suite des événements.
Le Tribunal reconnaît ces lacunes, mais précise qu’elles relèvent de bonnes pratiques de gestion et non d’une obligation légale stricte. C’est ici que se situe une distinction fondamentale pour les employeurs.
Ce que doivent retenir les milieux de travail
Cette affaire met en lumière un message important : agir minimalement selon la loi peut suffire à dégager la responsabilité juridique de l’employeur, mais pas à garantir un climat de travail sain ni à éviter les répercussions humaines ou organisationnelles.
Quelques enseignements concrets :
1. Une politique ne suffit pas : elle doit vivre
L’existence d’une politique de prévention du harcèlement est exigée depuis 2019. Dans cette affaire, la politique était bien en place, affichée dans les lieux communs et accessible en ligne. Cependant, elle n’avait pas été clairement communiquée à la nouvelle employée, ce qui a nui à sa compréhension de ses recours et de la procédure interne.
2. La rapidité d’intervention est essentielle
Une enquête qui s’étire sur plusieurs mois, sans communication ni suivi auprès de la personne plaignante, alimente le climat d’insécurité. Même si le harcèlement a cessé rapidement sur le plan factuel, la perception d’inaction peut laisser des traces durables.
3. L’approche humaine compte
Le Tribunal a reconnu que l’absence de soutien psychologique n’était pas une faute légale. Pourtant, le manque d’accompagnement est apparu comme un élément aggravant dans le vécu de la plaignante. L’accessibilité à un programme d’aide aux employés (PAE), des suivis formels ou une offre de rencontre externe auraient pu améliorer la perception de sérieux de la démarche.
4. La confidentialité est une responsabilité active
Laisser circuler l’information sur une plainte entre collègues, même indirectement, peut miner la crédibilité de l’organisation. Il revient à l’employeur de protéger l’identité de la personne plaignante, d’informer les témoins de leur devoir de discrétion et de rappeler que toute forme de représailles est strictement interdite.
5. Les tensions relationnelles ne doivent pas masquer les comportements fautifs
Enfin, le Tribunal a noté que la plaignante avait une interprétation parfois exagérée de certains faits et une tendance aux conflits. Cela ne doit cependant pas occulter que le harcèlement a bel et bien eu lieu. La personnalité de la victime ne doit jamais servir à minimiser la gravité d’un comportement.
Conclusion
Cette décision vient rappeler un principe clé : l’employeur ne sera pas jugé sur la perfection de ses interventions, mais sur leur caractère raisonnable et suffisant au regard de la situation. Cela dit, les attentes sociales, les enjeux de réputation et la cohésion d’équipe exigent souvent plus qu’un strict respect des exigences juridiques.
En matière de harcèlement, la norme légale ne devrait pas être une cible à atteindre, mais le point de départ minimal d’une culture organisationnelle responsable. Pour une évaluation adaptée à votre organisation, il est recommandé de consulter un conseiller en relations du travail.