Un jugement récent du Tribunal des droits de la personne a mis en lumière une question essentielle : est-il légal de refuser d’embaucher un pompier en raison de son daltonisme? L’affaire en question, opposant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse à la Ville de Québec (2023 QCTDP 2), explore les limites entre les exigences professionnelles et le droit à l’égalité.
Les faits en bref
En 2015, un pompier expérimenté a vu sa candidature rejetée par la Ville de Québec après qu’un examen médical ait révélé qu’il souffrait d’un trouble de la perception des couleurs. Bien qu’il ait exercé ce métier depuis plusieurs années dans une autre municipalité, la Ville a jugé que son daltonisme constituait un risque incompatible avec les exigences du poste. Le candidat a donc porté plainte pour discrimination fondée sur un handicap, en s’appuyant sur les protections offertes par les articles 10 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne.
L’analyse du Tribunal
Une exigence professionnelle ou une discrimination déguisée?
La Ville de Québec a défendu sa décision en invoquant l’article 20 de la Charte, qui permet d’établir des exigences professionnelles justifiées. Selon cette disposition, une exclusion basée sur des aptitudes requises pour un emploi peut être jugée légale si elle est essentielle pour assurer la sécurité ou l’efficacité du travail.
Pour évaluer cette justification, le Tribunal a appliqué le test Meiorin, un cadre juridique en trois étapes :
La norme est-elle rationnellement liée aux fonctions du poste? Oui, a conclu le Tribunal. La capacité de distinguer les couleurs est cruciale pour certaines tâches de pompier, comme l’utilisation d’équipements spécifiques et l’interprétation d’indicateurs visuels.
La norme a-t-elle été adoptée de manière honnête et de bonne foi? La Ville a démontré que sa préoccupation pour la sécurité était sincère.
Un accommodement raisonnable aurait-il été possible sans imposer une contrainte excessive? C’est ici que la Ville a échoué. Bien qu’elle ait mené des analyses médicales et fonctionnelles, elle n’a pas pleinement évalué les capacités réelles du candidat. Par exemple, aucune simulation pratique n’a été proposée pour tester comment il pourrait compenser son daltonisme dans un contexte réel.
Les droits du candidat non respectés
Le Tribunal a également souligné que certaines questions incluses dans le questionnaire médical pré-emploi n’étaient pas conformes à l’article 18.1 de la Charte, qui interdit de recueillir des renseignements discriminatoires sans justification.
Les conséquences pour la Ville de Québec
Le jugement a condamné la Ville pour discrimination et manquement à son obligation d’accommodement raisonnable. Les réparations incluent :
Embauche obligatoire du candidat dès qu’un poste sera disponible.
Indemnisation financière, incluant près de 100 000 $ en pertes salariales et 10 000 $ pour dommages moraux.
Une somme additionnelle de 2 500 $ pour l’utilisation d’un questionnaire médical discriminatoire.
Leçons à tirer pour les employeurs
Cette décision rappelle qu’un employeur doit faire preuve de souplesse et de rigueur dans l’analyse des candidatures. Une norme professionnelle, même liée à la sécurité, ne doit pas être appliquée de façon rigide. Il est impératif d’explorer toutes les options d’accommodement avant de conclure à l’incompatibilité d’un candidat.
En définitive, la protection contre la discrimination exige un équilibre entre les exigences du poste et le respect des droits fondamentaux des travailleurs. Cette affaire constitue un rappel important : chaque candidat mérite une évaluation juste et adaptée à ses capacités uniques.