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Droit de gérance ou abus de pouvoir? Quand le leadership bascule vers le harcèlement...

  • Photo du rédacteur: Laurie Croteau
    Laurie Croteau
  • 4 juin
  • 3 min de lecture

Dans une décision rendue le 27 février 2025, Association des policiers et policières du Québec (APPQ) et Sûreté du Québec (Christian Foisy), 2025 QCTA 74, le Tribunal d’arbitrage a conclu que des interventions d’un supérieur hiérarchique, d’abord motivées par la volonté d’encadrer un employé, ont dégénéré en ce que l’on qualifie de "harcèlement administratif".


Cette décision soulève des questions essentielles pour tout milieu de travail : jusqu’où peut-on aller pour corriger un employé? À partir de quand l'encadrement devient-il un fardeau pour la personne visée?


Contexte factuel : de l’encadrement à l’épuisement


Le grief portait sur un cadre de premier niveau, occupant un poste de supervision, qui s’est plaint du comportement de son supérieur immédiat. Initialement, celui-ci cherchait à améliorer la prestation de travail du plaignant. Or, au fil du temps, les interventions se sont multipliées et alourdies : commentaires fréquents et dévalorisants, consignes en cascade, remises en question constantes, absence de reconnaissance et pression continue.


Bien que les premières interventions aient pu être interprétées comme légitimes dans le cadre du droit de gérance, la situation s’est transformée, lentement mais sûrement, en une relation toxique caractérisée par une surveillance étouffante et un climat d'humiliation.


L'analyse de l'arbitre : la bonne foi n'est pas un bouclier


Dans son analyse, l’arbitre ne remet pas en cause le droit de l’employeur à exiger un rendement satisfaisant et à intervenir en cas de lacunes. Cependant, le droit de gérance ne donne pas carte blanche. Les interventions, même lorsqu’elles visent des objectifs valables, doivent être exercées de manière mesurée, respectueuse et proportionnelle.


L’arbitre rappelle que ce n’est pas l’intention du gestionnaire qui est déterminante, mais bien l’effet cumulé de ses comportements sur la personne salariée. Ici, l'effet fut un climat de travail dégradé, une atteinte à la dignité et un impact marqué sur la santé psychologique du plaignant. Le Tribunal reconnaît donc que le droit de supervision a été exercé de façon abusive, et que le seuil du harcèlement psychologique – sous sa forme dite "administrative" – a été franchi.


Qu’est-ce que le harcèlement administratif?


Le harcèlement administratif désigne une forme particulière de harcèlement psychologique, où l’employé est soumis à une série de mesures de gestion abusives :


  • Accumulation injustifiée de mesures disciplinaires ou correctives;

  • Multiplication de reproches banals ou exagérés;

  • Surveillance excessive;

  • Isolement de l’individu dans l’équipe ou retrait de tâches sans fondement;

  • Communications constantes à connotation négative ou humiliante.


Ces comportements, pris individuellement, peuvent paraître anodins. Mais leur répétition, leur systématicité et leur caractère dénigrant créent un climat d’insécurité psychologique, incompatible avec le respect de la personne.


Pourquoi les employeurs doivent s’en soucier


On pourrait être tenté de balayer cette affaire du revers de la main en se disant : « Ce n’est qu’un cas isolé ». Erreur. Cette décision s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle qui reconnaît que l’exercice abusif du pouvoir hiérarchique est une forme réelle de harcèlement.


Pour les employeurs, cela implique un devoir de vigilance accru envers les pratiques de supervision, particulièrement celles déployées auprès des employés jugés "difficiles" ou "moins performants".


Recommandations concrètes pour prévenir les dérapages


1. Former les gestionnaires à la supervision saine


On l’oublie souvent, mais superviser n’est pas inné. Les gestionnaires doivent être formés à :

  • Donner du feedback constructif (sans humiliations publiques);

  • Distinguer la rigueur de l’acharnement;

  • Gérer l’insatisfaction sans basculer dans la microgestion.


2. Favoriser l’équilibre entre performance et bienveillance


Un climat de confiance améliore les résultats. La peur, elle, les mine. Un employé constamment sur la défensive n’est pas un employé performant — c’est un employé en survie.


3. Documenter les interventions, mais avec discernement


La traçabilité est essentielle en gestion de la performance. Mais il faut se méfier de l’effet "tsunami" : envoyer 14 courriels de reproches en 10 jours ne montre pas du suivi rigoureux, mais bien une forme de harcèlement déguisé.


4. Écouter les signaux faibles


Des plaintes informelles, une hausse de l’absentéisme, un retrait social : autant de signaux que quelque chose cloche. Ne pas intervenir, c’est cautionner.


5. Responsabiliser les RH dans l’encadrement du pouvoir disciplinaire


Les ressources humaines doivent jouer leur rôle de contrepoids, en encadrant les gestionnaires dans leurs décisions et en s’assurant que les actions sont proportionnées, légitimes et bienveillantes.


Conclusion


Cette affaire rappelle un principe fondamental : le pouvoir disciplinaire n’est pas absolu. L’exercice de l’autorité doit toujours se faire dans les limites du respect des personnes. Lorsque l’encadrement devient persécution, le droit du travail bascule du côté du harcèlement.


Employeurs, gestionnaires : si vous avez le sentiment que "ça passe proche", que vos interventions deviennent de plus en plus nombreuses, ou que le lien de confiance avec un employé s’effrite, c’est peut-être le moment de demander conseil.


 
 
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