Dans l’affaire Chaput c. Vins et spiritueux Breakthru Canada inc., le Tribunal administratif du travail (TAT) a statué sur une plainte pour congédiement déguisé déposée par un directeur régional des ventes après avoir été réaffecté à un poste qu’il avait occupé auparavant. Cette décision met en lumière la distinction entre le droit de gestion de l’employeur et un véritable congédiement déguisé. Voici un résumé et une analyse des éléments essentiels de cette affaire.
Contexte de la décision
Le plaignant, un directeur régional des ventes chez Vins et Spiritueux Breakthru Canada inc., a déposé deux plaintes en février 2022. Il alléguait que son employeur l’avait congédié de manière déguisée en le réaffectant à un poste qu'il occupait précédemment, à la suite de son retour d'un congé maladie. Il a également affirmé que ce changement de poste constituait une modification substantielle des conditions de son contrat de travail, et qu'il était lié à sa dénonciation de harcèlement psychologique par une ex-employée et à son absence pour cause de maladie.
Les faits
Le plaignant travaillait pour l'entreprise depuis presque 25 ans. En 2020, il avait demandé à être transféré au secteur des détenteurs de permis (bars et restaurants) pour relever de nouveaux défis, après avoir travaillé plusieurs années dans le secteur de la SAQ. Cependant, en décembre 2021, après un congé maladie et des dénonciations de harcèlement par une ex-employée, l'employeur l'a réaffecté à son ancien poste dans le secteur de la SAQ, expliquant que ce changement était nécessaire en raison de lacunes dans son style de gestion et de communication identifiées lors d'une enquête interne.
Analyse de la plainte
1. Congédiement déguisé ou simple réaffectation ?
La question centrale de cette affaire était de savoir si la réaffectation du plaignant à son ancien poste constituait un congédiement déguisé ou une décision de gestion légitime de l’employeur. Le Tribunal a déterminé que le changement d'affectation ne constituait pas un congédiement déguisé. Selon la jurisprudence, un congédiement déguisé survient lorsqu'une modification substantielle des conditions de travail laisse croire à un salarié qu’il n’est plus lié par son contrat de travail. Ici, bien que le plaignant ait été réaffecté à son ancien poste, ses conditions salariales, son statut hiérarchique, et ses responsabilités générales sont demeurées inchangées. Le Tribunal a conclu qu’une personne raisonnable placée dans la même situation n’aurait pas perçu ce changement comme une rupture de contrat.
2. Exercice des droits et présomption de représailles
Le plaignant alléguait également que la décision de le réaffecter avait été prise en raison de son congé maladie et de ses plaintes concernant le harcèlement. Le Tribunal a analysé cette plainte sous l’angle de l’article 122 de la Loi sur les normes du travail, qui protège les employés contre les mesures disciplinaires ou les représailles en raison de l'exercice d'un droit légal. Cependant, il a été établi que la décision de réaffecter le plaignant avait été prise avant son arrêt de travail et ses dénonciations. Il n'y avait donc pas de concomitance entre l’exercice de ses droits et la décision de réaffectation, ce qui a invalidé la présomption de représailles.
3. L'enquête interne et les mesures prises
Le Tribunal a également évalué la gestion de l’enquête menée par l’employeur à la suite d’une plainte pour harcèlement déposée contre le plaignant. Bien que l’enquête ait révélé des lacunes dans son style de gestion, aucune mesure disciplinaire n’avait été prise à son encontre. L’employeur avait plutôt choisi de mettre en place un plan d’action corrective, ce qui a démontré la volonté de l’employeur d’aider le plaignant à s’améliorer plutôt que de le sanctionner.
Conclusion
Le Tribunal a rejeté les deux plaintes du plaignant. Il a estimé que le changement de poste relevait du droit de gestion de l’employeur et qu’il ne constituait ni un congédiement déguisé ni une mesure de représailles. Cette décision rappelle l’importance pour les employeurs de documenter et justifier clairement leurs décisions en matière de réorganisation ou de réaffectation, en particulier lorsqu’elles touchent des employés de longue date ou en retour d'absence pour maladie.
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