L’affaire Niyonzima c. Chez-Nous de Mercier-Est (2024 QCTAT 2349) explore les critères rigoureux du harcèlement psychologique au travail et la difficulté de faire reconnaître des troubles psychologiques comme des lésions professionnelles. Dans cette affaire, une employée a vu sa plainte de harcèlement psychologique rejetée contre deux de ses supérieurs successifs, ainsi que sa réclamation pour lésion professionnelle. La décision met en lumière les conditions légales strictes pour prouver le harcèlement psychologique et l’accident de travail dans un contexte de conflit de gestion. Voici les points saillants de cette décision.
Contexte de l’Affaire
L’employée, travaillant dans un organisme à but non lucratif, a déposé deux plaintes pour harcèlement psychologique. Elle visait son ancien supérieur, qu’elle accusait d’attitudes vexatoires et d’une présence répétée dans les bureaux après son départ, ainsi que la nouvelle directrice, qu’elle estimait critique et reprochait des comportements hostiles. Une réclamation pour lésion professionnelle a également été déposée, évoquant un trouble d'adaptation lié aux conditions de travail.
Critères Légaux pour le Harcèlement Psychologique
Selon l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail (LNT), le harcèlement psychologique est défini comme :
une conduite vexatoire se manifestant par des comportements, des paroles ou des gestes répétés,
ayant un caractère hostile ou non désiré,
portant atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique de la personne,
et entraînant un environnement de travail néfaste.
Pour évaluer ces plaintes, le Tribunal applique le critère de la « victime raisonnable », visant à objectiver le ressenti de l’employé en se demandant si un observateur impartial trouverait les comportements hostiles ou vexatoires.
Décision et Raisonnement du Tribunal
A. Comportements de l’ancien supérieur
Les reproches portés contre l’ancien supérieur incluaient des critiques de documents devant d’autres collègues, l’organisation de réunions tendues et des échanges perçus comme intimidants. Lors d’une évaluation, l’employée a ressenti un accès de colère de la part de ce supérieur, laissant une forte impression d’injustice et de stress. Cependant, le Tribunal a estimé que ces comportements relevaient du droit de supervision normale dans le cadre d’une gestion, bien qu’ils aient pu être maladroits. Aucune preuve n’a démontré que ces actions dépassaient le cadre habituel du travail ou constituaient une « conduite grave ».
B. Présence de l’ancien supérieur après son départ
L’employée a également exprimé de l’inconfort à la suite de plusieurs visites de cet ancien supérieur aux bureaux alors qu'il ne travaillait plus pour l'entreprise et qu’il était au courant de la plainte déposée contre lui. Le Tribunal a reconnu que cette présence pouvait être perçue comme hostile, mais a conclu que l’employeur avait agi promptement en interdisant toute nouvelle visite. Cette réaction rapide de l’employeur pour faire cesser la conduite vexatoire a ainsi permis de rejeter la plainte pour harcèlement psychologique.
C. Interactions avec la nouvelle supérieure
En ce qui concerne la nouvelle supérieure, l’employée reprochait des échanges qu’elle percevait comme des reproches à propos de sa plainte. Le Tribunal a noté que la supérieure s’était excusée immédiatement après l’un de ces commentaires et qu’aucune preuve ne soutenait l’existence d’un comportement vexatoire répété ou hostile. Les divergences au sujet des conditions de travail ont été jugées comme faisant partie des droits normaux de gestion et ne relevaient pas du harcèlement.
Rejet de la Réclamation pour Lésion Psychologique
L’employée avait également présenté une réclamation pour lésion psychologique, décrivant un trouble d'adaptation lié aux événements vécus au travail. Pour être reconnue en tant que lésion professionnelle au Québec, une telle réclamation doit prouver un « événement imprévu et soudain » déstabilisant, qui dépasse le cadre normal du travail. Le Tribunal a estimé que les situations rapportées — y compris une évaluation annuelle difficile et des interactions tendues — relevaient de défis relationnels courants et du cadre de gestion normal. Aucune preuve n’a donc pu établir un accident de travail psychologique.
Conclusion
En fin de compte, le Tribunal a rejeté les plaintes pour harcèlement psychologique et la réclamation pour lésion professionnelle, concluant que les comportements en cause, bien que parfois mal vécus, relevaient du droit de gestion de l’employeur. Ce jugement rappelle que des conflits de gestion, des tensions et des critiques peuvent causer de l’inconfort sans nécessairement constituer du harcèlement psychologique.