Dans une décision marquante rendue le 4 juillet 2024 par le Tribunal administratif du travail (TAT), le Cégep de Trois-Rivières a été contraint d'annuler l’échec d’un étudiant en soins infirmiers. Le Tribunal a statué que les absences de l’étudiant pour cause de maladie et pour prendre soin d’un enfant étaient protégées par la Loi visant à assurer la protection des stagiaires en milieu de travail, et que ces absences avaient illégalement influencé la décision d’échec. La réintégration du stagiaire dans son programme a été ordonnée.
Contexte de la décision
L'étudiant, inscrit au programme de Techniques de soins infirmiers, effectuait un stage en médecine ambulatoire au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie et du Centre-du-Québec (CIUSSS). Au cours de ce stage, il s'était absenté à trois reprises, d'abord pour prendre soin de l’enfant de sa conjointe, puis en raison de maladie. Ces absences sont des droits protégés en vertu de l’article 11 de la Loi visant à assurer la protection des stagiaires en milieu de travail, qui permet à un stagiaire de s’absenter pour ces motifs sans subir de sanction.
Cependant, après ces absences, le Cégep avait jugé que l’étudiant n’avait pas acquis les compétences nécessaires et l’avait donc sanctionné par un échec de stage. Ce dernier a contesté la décision, arguant que son échec était principalement lié à ses absences, ce qui constitue une infraction à la Loi.
Une protection légale claire pour les stagiaires
L’article 11 de la Loi protège les stagiaires en leur octroyant le droit de s’absenter pendant un maximum de 10 jours par année pour des raisons de maladie ou pour remplir des obligations familiales. De plus, il leur impose de prendre les moyens raisonnables pour limiter la durée de leur absence. Dans ce cas précis, l’étudiant avait correctement exercé son droit à l’absence. Il avait avisé l’enseignante responsable de ses absences et, dans un cas, avait même présenté un travail supplémentaire pour compenser la journée de stage manquée.
Le Tribunal a statué que ces absences, bien que légitimes, avaient été prises en compte dans l’évaluation de l’étudiant, en dépit du fait qu’elles étaient protégées par la Loi. Le TAT a rappelé qu’en vertu de l’article 20 de la Loi, il est interdit d’imposer des sanctions à un stagiaire en raison de l’exercice d’un droit protégé.
Le Cégep n’a pas réussi à justifier l’échec
Dans sa défense, le Cégep avait tenté de justifier l’échec en mentionnant des lacunes techniques de l’étudiant, notamment l’utilisation de matériel non stérilisé et un comportement inapproprié envers l’enseignante. Toutefois, le Tribunal a conclu que les absences de l’étudiant avaient également joué un rôle dans la décision d’échec, comme en témoignaient des commentaires de l’enseignante dans l’évaluation de stage.
La présomption légale de représailles, prévue à l’article 25 de la Loi, s’appliquait donc. En vertu de cette présomption, il revenait au Cégep de démontrer que l’échec était basé uniquement sur des motifs légitimes et indépendants des absences de l’étudiant. Cette preuve n’a pas été apportée de manière convaincante, le Tribunal concluant que les absences avaient en effet été un facteur dans la décision d’échec.
La réintégration du stagiaire ordonnée
Le Tribunal a annulé l’échec de l’étudiant et ordonné sa réintégration dans le programme de soins infirmiers pour l’automne 2024, dans un stage équivalent au premier bloc qu’il n’a pu terminer. En outre, le dossier académique et disciplinaire de l’étudiant devra être modifié pour supprimer toute mention d’échec. Le TAT a également exigé que le Cégep nomme un nouvel enseignant pour superviser le stage du plaignant, afin d’assurer un environnement impartial.
Réflexion sur les droits des stagiaires
Cette décision renforce la protection des stagiaires en milieu de travail au Québec, en réaffirmant le caractère fondamental de la Loi qui leur permet d'exercer leurs droits sans crainte de représailles. Le Tribunal a adopté une interprétation large et libérale de cette loi, un principe essentiel pour protéger les travailleurs en formation professionnelle. Elle rappelle également aux établissements d'enseignement l’importance de dissocier les absences légitimes des évaluations de performance. En cas de non-respect de cette séparation, les conséquences peuvent inclure l’annulation de sanctions académiques, comme ce fut le cas ici.
Pour les employeurs et institutions, cette décision envoie un message clair : la protection des droits des stagiaires doit primer, et toute évaluation ou sanction doit s’appuyer uniquement sur des critères objectifs liés aux compétences, indépendamment des absences protégées par la loi.
Conclusion
Le cas du Cégep de Trois-Rivières illustre bien les enjeux entourant la protection des stagiaires dans le cadre de la nouvelle législation. Les établissements d’enseignement et les employeurs doivent veiller à respecter ces droits sous peine de voir leurs décisions annulées et d’être contraints de réintégrer les stagiaires injustement sanctionnés. Ce jugement marque un pas important dans la consolidation des droits des stagiaires au Québec et leur protection contre des mesures de représailles.
Référence : Cloutier c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie et du Centre-du-Québec, 2024 QCTAT 2421 (4 juillet 2024).
