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Photo du rédacteurLaurie Croteau

La pénurie de main d'oeuvre, aussi grave soit-elle, ne peut servir de justification générale pour refuser des congés.


Le 2 juillet 2024, dans l’affaire du Syndicat de l’enseignement de Lanaudière c. Centre de services scolaires des Samares, le Tribunal d’arbitrage a rendu une décision importante sur le refus de congés sans traitement dans le secteur de l'éducation. Cette décision, accueillant le grief collectif déposé par le syndicat, met en lumière les obligations de l'employeur en matière d'octroi de congés et la gestion de la pénurie de main-d'œuvre dans les écoles.


Contexte : le grief syndical


Le différend portait sur une directive émise par le Centre de services scolaires des Samares (CSS) en août 2022, refusant systématiquement les congés sans traitement demandés par les enseignants, à moins qu'ils aient été accordés lors d'une séance d'affectation. Le Syndicat a contesté cette directive, soutenant qu'elle privait les enseignants d’un droit établi dans la convention collective, soit la possibilité d’obtenir un congé sans traitement sous certaines conditions, notamment celle de trouver un suppléant qualifié.


L'employeur a justifié sa décision en invoquant la pénurie de main-d’œuvre qui affecte le secteur de l'éducation. Selon lui, accorder ces congés compromettait sa capacité à répondre à ses obligations légales, notamment en termes de respect des programmes éducatifs et des régimes pédagogiques. Face à la difficulté de pourvoir certains postes, il estimait nécessaire de prioriser l'affectation de son personnel à temps plein sur les postes vacants plutôt que d'accepter les demandes de congés.


Analyse et décision du tribunal


L'arbitre, Me Jean Ménard, a examiné l’entente locale qui régit l’octroi des congés sans traitement. Cette clause stipule que le congé doit être accordé lorsque toutes les conditions sont remplies, notamment la disponibilité d’un remplaçant qualifié. Le verbe « accorde » utilisé dans la convention reflète une obligation de résultat pour l'employeur, et non une simple faculté. Cela implique que l’employeur doit activement chercher à satisfaire cette condition en trouvant un suppléant.


Or, dans ce cas, la directive du CSS rendait impossible la réalisation de cette condition, en empêchant la recherche de remplaçants pour les congés non pourvus lors de la séance d’affectation. Le tribunal a jugé que cela constituait une violation de la convention collective et a rappelé qu'en vertu de l'article 1503 du Code civil du Québec, lorsqu'une partie empêche volontairement l'accomplissement d'une condition à une obligation, cette obligation doit être considérée comme remplie. Ainsi, le CSS aurait dû accorder les congés demandés.


Le rôle de la pénurie de main-d'œuvre


L’un des arguments majeurs du CSS était la gravité de la pénurie de personnel, un phénomène bien réel dans le secteur de l’éducation. Le tribunal a reconnu l'ampleur de ce problème, mais a constaté que cette situation n’était pas nouvelle. En effet, le manque de personnel avait affecté les années précédentes, sans toutefois empêcher l'employeur de respecter ses obligations contractuelles.


Le tribunal a également noté qu’aucune preuve n’avait été apportée pour démontrer que le refus systématique des congés aurait contribué de manière significative à combler les postes vacants. Il n’y avait, selon l’arbitre, aucun lien direct prouvé entre la directive et l’amélioration de la situation de pénurie. De plus, la directive a été maintenue jusqu’en novembre 2022, bien après que les postes à temps plein aient été pourvus, ce qui a renforcé la conclusion que l’employeur avait outrepassé ses droits.


Le droit de gestion de l’employeur


Le tribunal a également clarifié les limites du droit de gestion de l’employeur. Si l'employeur dispose d’une certaine latitude pour organiser le travail et affecter les employés en fonction des besoins opérationnels, ce droit ne permet pas de violer des obligations contractuelles. L'arbitre a souligné que l'employeur ne pouvait pas forcer un enseignant à accepter un poste à temps plein alors qu’il souhaitait un engagement à temps partiel, surtout si ce dernier respectait les critères de qualification pour un poste existant.


Conclusion : les leçons à tirer de cette décision


Cette décision arbitrale rappelle aux employeurs l’importance de respecter les conventions collectives, même en période de crise comme une pénurie de main-d’œuvre. L’obligation d’accorder un congé sans traitement, lorsqu’un remplaçant qualifié est disponible, ne peut être contournée par des considérations opérationnelles sans une justification solide et bien documentée.


De plus, la décision souligne que les droits des employés en matière de congés sont encadrés par des conditions claires et que toute modification à ces pratiques doit être négociée avec le syndicat, et non imposée unilatéralement. Enfin, elle rappelle que les pénuries de personnel, aussi graves soient-elles, ne peuvent servir de justification générale pour ignorer des obligations contractuelles préexistantes.


Le tribunal a accueilli le grief du syndicat, déclarant que la directive du CSS violait la convention collective. Il a réservé sa compétence pour déterminer d’éventuelles ordonnances supplémentaires et les montants compensatoires à accorder.


Cette affaire montre l’importance, pour les employeurs et les syndicats, de trouver un équilibre entre la gestion des ressources humaines et le respect des accords collectifs.




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