top of page

Débranchement d’une caméra en milieu de travail : l’arbitre tranche sur les limites du droit à la vie privée.

  • Photo du rédacteur: Laurie Croteau
    Laurie Croteau
  • 1 juin
  • 3 min de lecture

Dans une décision récente, le Tribunal d’arbitrage a rappelé les limites du droit d’un salarié à ne pas être filmé lorsqu’il est en fonction, en concluant qu’un comportement d’insubordination lié au débranchement d’une caméra ne peut être justifié par une simple appréhension de conditions non sécuritaires.


Contexte


Dans Union des employés et employées de service, section locale 800 et Soucy Plastiques inc. (Reto Casura), 2025 QCTA 43, un électromécanicien conteste une suspension de deux semaines infligée par son employeur après qu’il ait volontairement débranché une caméra installée au-dessus d’un extrudeur, appareil central à la production de l’entreprise. Selon lui, il ne souhaitait pas être filmé alors qu’il s’apprêtait à effectuer une réparation qu’il jugeait non sécuritaire.


Enjeu central : l’usage des caméras à des fins de productivité


L’arbitre Me Pierre Loyer a déterminé que la caméra concernée n’était pas destinée à la surveillance du personnel, mais à l’optimisation des processus opérationnels. Elle visait entre autres à documenter le fonctionnement de l’équipement, à faciliter l’analyse technique et à supporter des modifications dans les procédés.


La perte des données engendrée par la coupure de la caméra a nui à une enquête subséquente portant sur une panne survenue quelques jours plus tard. L’employeur a donc considéré le geste comme une faute grave, d’autant plus que le plaignant n’a pas rebranché la caméra après son intervention, ni informé un supérieur.


Le droit à la vie privée invoqué sans succès


Le syndicat a tenté de justifier le geste en s’appuyant sur l’article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne, invoquant le droit à des conditions de travail qui respectent la santé, la sécurité et l’intégrité physique. Toutefois, l’arbitre a conclu que les critères d’application de cette disposition — lesquels doivent être cumulatifs — n’étaient pas rencontrés en l’espèce.


L’arbitre a retenu que l’intervention n’avait pas été dénoncée comme non sécuritaire aux supérieurs et que le plaignant avait agi de manière unilatérale, sans démonstration de conditions de travail véritablement contraires à la loi ou déraisonnables.


Une sanction justifiée, mais réduite


Bien que l’employeur ait agi dans les limites de son pouvoir disciplinaire, le Tribunal a jugé la sanction initiale de deux semaines disproportionnée au regard de l’ensemble des circonstances. Il a noté l’absence d’une charte claire de gradation des sanctions, le fait que les gestes reprochés dans d’autres avis disciplinaires étaient distincts, et que la preuve de récidive spécifique quant au débranchement des caméras n’était pas documentée.


La suspension a donc été réduite à une semaine, le Tribunal ordonnant le remboursement des jours non travaillés en excédent.


Réflexions à retenir


Cette décision illustre plusieurs éléments importants en matière de relations de travail :


  • Le droit à la vie privée au travail est limité et doit être mis en balance avec les intérêts opérationnels légitimes de l’employeur, surtout lorsqu’il est question d’équipements de captation à des fins techniques plutôt que de surveillance.


  • L’insubordination ne se justifie pas par une crainte subjective du salarié, surtout en l’absence de démarches concrètes pour soulever un enjeu de sécurité.


  • La transparence organisationnelle sur l’utilisation des caméras et une gradation claire des sanctions disciplinaires sont des éléments cruciaux pour prévenir de tels conflits.


Comme toujours, cette décision rappelle que chaque cas doit être évalué en fonction de son contexte particulier. Les employeurs ont tout intérêt à documenter l’utilisation des outils technologiques en milieu de travail, tandis que les salariés sont invités à soulever toute préoccupation par les voies prévues, plutôt que de poser des gestes unilatéraux aux conséquences potentiellement lourdes.



 
 
bottom of page